Arrivée à Bamako

Dieudonné Enoh
Art & Literature, Serial
French
Arrivée à Bamako

Bamako. La ville ressemblait étrangement à Niamey. Elle était coupée en deux comme elle par le même fleuve, le Niger. Il y faisait également très chaud, la même chaleur typique des pays du Sahel. Le vent y soufflait semblable à celui de Niamey. Le sol y était également sablonneux. Même les gens dans la rue, physiquement, se ressemblaient. Ils portaient les mêmes types de boubous, les mêmes types de sandales et avaient la même démarche nonchalante. Ils étaient en majorité musulmans comme à Niamey, et se regroupaient pareillement aux quatre coins des rues à l’heure de la prière.

Bamako, cependant, hébergeait une plus forte communauté de personnes en provenance de Kolgemamis. Celle-ci était composée pour moitié d’étudiants, et pour moitié de clandestins qui cherchaient à se rendre en Europe. Parmi eux, nombreux étaient ceux qui avaient déjà été refoulés deux, trois, voire quatre fois d’un pays européen. Ils étaient de tous les âges, et des hommes comme des femmes.

Les hommes, pour la plupart, exerçaient de petits boulots pour épargner un peu d’argent afin de payer les passeurs ou acheter un passeport malien et repartir. Les femmes quant à elles, se livraient à la prostitution, lorsqu’elles n’étaient pas des femmes de ménage. Mais, quel que fut le cas, les uns les autres avaient des histoires dramatiques à raconter, et véritablement de nature à décourager plus d’une personne à poursuivre le voyage périlleux vers l’Europe.

Abokup avait ainsi fait la connaissance d’une dame partie de son pays il y avait plusieurs années, qui était parvenue deux fois de suite à atteindre l’Europe, mais toutes les deux fois, avait été sans pitié refoulée, et qui avait rendu l’âme sous ses yeux.

Elle avait le corps couvert de pustules, était toute squelettique. Elle toussotait en permanence et respirait péniblement. A l’évidence, elle était atteinte de tuberculose. Elle s’appelait Nyetedugan.

Lorsqu’Abokup avait pénétré dans la sordide masure où elle était couchée sur un lit fait de planches de récupération, et au pied duquel était posé un seau dans lequel elle crachait, elle avait fait l’effort surhumain de sourire et s’était péniblement redressée sur son lit, après avoir longuement toussoté. Puis, elle lui avait dit :

— Mon jeune frère … sois le bienvenu … sois le bienvenu à Bamako … sois le bienvenu à la porte de l’Europe, pour nous qui venons de l’Afrique Centrale (elle s’était mise à respirer fortement en suffoquant) … mais, je ne puis plus t’être utile … je suis déjà au seuil de la mort … me voici sur le point de quitter finalement ce monde … (elle s’était de nouveau mise à respirer fortement, en suffoquant) … que n’ai-je pas essayé … mon jeune frère … que n’ai-je pas essayé … pour changer mon existence … (elle s’était mise à longuement toussoter, puis avait craché dans le seau) … au point de me prostituer … je confesse devant l’Eternel que je ne suis pas une sainte, oui … mais je confesse également que c’est la vie dure dans mon pays qui m’a jetée sur la route de l’Europe et a fait de moi ce que je suis devenue … une épave qui n’attend plus que la mort … en vérité … la délivrance … (avait recommencé à respirer fortement) … le sida a pris possession de ce corps  qui me porte depuis que je suis venu sur terre … je ne me serais jamais prostituée si j’étais demeurée dans mon pays … (s’était de nouveau mise à longuement toussoter, puis avait craché dans le seau) ô mon jeune frère … te voici qui viens d’arriver … fasse l’Eternel que toi tu atteignes l’Europe et que tu y demeures … que l’on ne t’y expulse pas …

Elle avait toussoté très longuement, s’é-tait penchée sur son seau, mais n’avait rien craché. Puis, elle s’était lourdement laissé tomber sur le dos, dans son lit. Elle avait été aussitôt prise de spasmes, et son corps s’était progressivement détendu…

Son histoire avait alors été entièrement racontée à Abokup.

Elle était une femme heureuse avec son mari dans son pays. Ils avaient eu ensemble quatre gosses. Mais, un jour, à la fréquentation d’une voisine, le virus de l’Europe s’est emparé delle. Elle est allée vider le compte en banque de son mari à son insu pour payer un passeur. Mal lui en a pris, c’était un escroc. Ce dernier a disparu avec tout son argent. Le mariage a volé en éclat. Toute désespérée, elle a bu des comprimés pour se suicider. Mais, elle n’est pas morte. Elle a été transportée à l’hôpital. A la sortie de celui-ci, elle était tellement couverte de honte qu’elle était entrée en contact avec d’autres passeurs pour partir en Europe, et fuir son pays. Elle ne pouvait les payer qu’avec son corps. Ce dernier lui a servi jusqu’en Italie. Mais, là-bas, il ne lui a plus été utile lorsqu’elle a été arrêtée par la police pour présence illégale sur le territoire. Elle a menti qu’elle était Malienne. Elle a été expulsée par avion vers Bamako. Son corps lui a de nouveau servi pour repartir une seconde fois et atteindre Bruxelles. Mais, elle était tombée une fois encore sur une patrouille de police, et, faute de papiers en règles, elle a été une seconde fois rapatriée à Bamako. De retour pour la seconde fois dans la capitale malienne, de quoi pouvait-elle vivre d’autre, à part de son corps ? Elle est tombée enceinte. Mais, elle n’a jamais clairement pu savoir des œuvres de qui. Malheur de plus : l’enfant est mort-né.

Retourner dans son pays, elle ne le pouvait pas. Elle fuyait la honte. Tout le monde avait appris là-bas qu’elle avait trouvé son bonheur en Europe, qu’elle avait épousé un richissime banquier allemand retraité de la Banque Centrale Européenne, la banque qui a plus d’argent que toutes les banques du monde, y compris la Banque Mondiale, et veuf sans enfant, dont elle n’attendait plus tranquillement que le décès pour hériter des biens, et que, finalement, elle avait été bien inspirée de quitter son mari, le dernier des vauriens de la terre, un homme qui ne lui apportait que la poisse. Comment dans ces conditions revenir les bras ballants? Impossible.

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