Désormais sans argent, il devient pentecôtiste

Dieudonné Enoh
Art & Literature, Serial
French
Désormais sans argent, il devient pentecôtiste

Désormais sans argent, il devient pentecôtiste

L’acquisition du passeport avait ruiné les économies d’Abokup qui s’appelait désormais Seydou Traoré. Il s’était rapproché de l’Europe, avec ce précieux document, mais s’en était éloigné par ses poches désormais désespérément vides. Manger devint rapidement un problème, de même que dormir. Il fallait contribuer au paiement du loyer de la bicoque dans laquelle un de ses compatriotes lui avait offert de dormir sur un canapé dans le salon. Ne pouvant le faire, les rapports entre la famille qui l’hébergeait et lui devinrent rapidement tendus. Mais comme Dieu sait si bien faire les choses, la fille aînée de la famille s’était prise de sympathie pour lui. Alors, elle s’arrangeait toujours à lui voler régulièrement de quoi manger, dans la réserve de la maison, et de le lui remettre discrètement. Lorsqu’elle lui apportait de la nourriture en cachette, celle-ci était crue. Il fallait la préparer. Il se retirait alors dans un coin abandonné du quartier dans lequel il résidait, pour faire la cuisine.

     Un jour alors qu’il déambulait dans la ville pour ne retourner que tard le soir à son domicile de circonstance et simplement se coucher, en prenant soin de ne pas trouver son hébergeur et sa famille à table, il entendit des chants chrétiens au loin. Il se dirigea vers le lieu de leur provenance. Il arriva ainsi devant une chapelle pentecôtiste, en plein office religieux. Un monsieur était en train de prêcher la bonne nouvelle. La salle plutôt petite, était bondée. Il y pénétra, et s’assit au fond de celle-ci. Aussitôt, une demoiselle et un jeune homme chargés de l’accueil des arrivants vinrent à lui.

— Sois le bienvenu dans la maison de Jésus, mon frère en Christ, lui dirent-ils.

     Il se souvint immédiatement que les pentecôtistes répondaient toujours Amen, entre eux.

— Amen ! dit-il d’une voix forte.

     Les deux jeunes gens sourirent.

— Tu es l’un des nôtres, sois béni par le sang de Jésus, reprit le garçon.

— Amen ! répondit-il encore.

— Frère en Christ, nous allons te présenter à l’assistance, afin que l’assemblée t’accueille chaleureusement, poursuivit la jeune fille.

     Ils partirent tous les deux. Quand le prédicateur eut fini, toute l’assistance se leva et entonna un chant à la gloire du Christ.

Chaque fois qu’un nouveau jour
se lève dans ma vie
je loue ton nooooom Jéhovaahhh
chaque fois qu’un nouveau jour
se lève dans ma vie
je loue ton nom
Aaaaallééééluuuuiaaaa !!!!!!!

Toute l’assistance se mit à claquer des mains, en rythmant le chant, en le repre-nant en boucle, et en chantant à très haute voix, dans un véritable vacarme.

Chaque fois qu’un nouveau jour
se lève dans ma vie
je loue ton nooooom Jéhovaahhh
chaque fois qu’un nouveau jour
se lève dans ma vie
je loue ton nom
Aaaaallééééluuuuiaaaa !!!!!!! 

Abokup, alias Seydou Traoré, ne deman-da pas son reste. Il se leva également et entonna à se détruire la gorge le chant, en claquant des mains et en dansant.

D’autres ne se sont pas levés
ce matin mais moi je l’ai fait
d’autres sont à l’hôpital à ce jour
mais moi je n’y suis pas
d’autres sont dans le chagrin
ce jour
mais moi je suis dans la joie
grâce à toi mon sauveur bien-aimé

Aaaaaaalllééééluuuuuuiaaaa !!!!!

 Chaque fois qu’un nouveau jour
se lève dans ma vie
je loue ton nooooom Jéhovaahhh
chaque fois qu’un nouveau jour
se lève dans ma vie
je loue ton nom
Aaaaallééééluuuuiaaaa !!!!!!!

Le vacarme dura une bonne dizaine de minutes. Lorsqu’il prit fin, tout le monde s’assit, essoufflé, excepté le prédicateur. Celui-ci se mit à sourire de satisfaction. Il aboya encore:

« Aaaaaaallléééééééééluuuuuuiaaaaa!!! » Toute l’assistance répondit sur le même ton, « Aa-aaammmeeeeennn !!! Puis il dit : « Acclamons le Seigneur car il est bon ! » Un tonnerre d’applaudissements se déclencha dans la petite chapelle, suivi de longs you-yous stridents de femmes.

Le prédicateur attendit que le calme revienne dans la salle. Lorsque cela fut fait, il reprit la parole.

— Frères et sœurs dans le Seigneur, notre Créateur me demande de vous présenter un de ses fils qui vient d’arriver parmi nous, et qui assiste à notre adoration pour la première fois.

Il tendit le regard vers le fond de la salle, et le posa sur Abokup. Ce dernier sursauta.

— Lève-toi, frère, et viens à moi.

Il tendit ses deux bras, les mains ouvertes en direction d’Abokup, en arborant un immense sourire aux lèvres. Un des voisins de banc d’Abokup se pencha vers lui et lui souffla à l’oreille : « frère, lève-toi et va là-bas devant, le Seigneur t’accueille dans sa maison». Il se leva le cœur palpitant, les jambes en coton, et se dirigea vers le prédicateur, en traversant toute la salle, sous les regards approbateurs et les sourires de satisfaction de tous les fidèles. Lorsqu’il parvint au niveau du prédicateur, celui-ci l’étreignit longuement sous un tonnerre d’applaudissements de la salle.

— Aaaalllééééééluuuuuuuuiiiiiaaaaaa !!!!!!!!!! aboya encore le prédicateur.

— Aaaaaaaaammmeeennn !!!!! répondit de nouveau en cœur toute l’assistance.

Puis le calme revint. Le prédicateur re-prit la parole.

— Bien-aimés en le Seigneur, je demande à notre frère de se présenter, afin que toute la famille du Christ ici présente puisse l’ac-cueillir. (A Abokup). Présente-toi, ô frère.

Abokup sentit ses pieds vaciller. Il n’é-tait nullement préparé à prendre la parole devant une telle assistance. Par ailleurs, quel nom déclarer, Abokup André, son vé-ritable nom, ou Seydou Traoré, son nom du passeport ?

— Parle, frère, n’aie peur de rien, ici c’est la maison du Seigneur, même si tu as tué, ici, dans ces murs, tu es pardonné par le sang de Jésus. Parle, n’aies peur de rien, nous sommes des tiens, tu es des nôtres. Parle.

Abokup s’éclaircit la voix. Un silence de cimetière s’installa dans la salle. On aurait pu entendre voler une mouche, ou des bo-yaux bouger dans le ventre d’une personne.

— Je me nomme … euh … (finalement, il opta pour son véritable nom) … Abokup … André Abokup. Je viens de Kolgememis. Je suis arrivé il y a un mois. Euh …. J’ai demandé à des amis, s’il n’existait pas d’église pentecôtiste dans la ville de Bamako. Ils m’ont répondu qu’il en existait plusieurs, et m’ont indiqué cette chapelle. En ma qualité de pentecôtiste, j’ai ressenti une grande joie d’apprendre que d’autres personnes dans la ville partageaient ma foi. (Un tonnerre d’applaudissements se déclencha de bouveau dans la salle). Bien-aimés en Christ, voilà comment notre Seigneur a conduit mes pas ici aujourd’hui. Qu’il en soit béni.

Il y eut alors un déchaînement sans pareil d’applaudissements tel qu’on aurait dit que les gens cherchaient à se détruire les mains.

 

to be continued…

Releted Posts